C’est un peu comme avec la pizza – au restaurant. Tu commences par la croûte,
et circulairement, méticuleusement, tu arrives au centre.
Le plus chiant au début, le meilleur pour la fin.

" Ce qui s’applique aux pizzas s’applique aux puzzles ".

Mais ici avec le meilleur vient un risque. Le risque, c’est qu’après avoir achevé
le plus fastidieux, on perde tout intérêt pour le reste.

Fleurs, lac et rochers nous semblent insolents de simplicité, d’une évidente variété.
Ça marche moins pour la pizza.
La semaine avait commencé par le jour des encombrants. Et parmi divers artefacts
profondément inutiles, ils avaient rapporté un puzzle, tout neuf. C’était un joli paysage de montagne au début de l’été. De l’herbe grasse parsemée de petites fleurs jaune d’or,
quelques amas de rochers, un lac miroitant le ciel. Évidemment, il y faisait très beau.

On a attendu deux jours avant de le déballer. On a attendu de ne plus savoir quoi faire.
Cette trouvaille était providentielle, et on a mis deux jours avant de s’en rendre compte.

Trois demi-journées pluvieuses se sont écoulées avant que nous ne terminions
la carte postale géante. On a fini par s’en aller, en laissant la montagne l’herbe les fleurs
jaunes les rochers le lac, et le ciel, au sol.
Sur le sol de marbre aggloméré noir gisaient pas moins de deux mille pièces.
Un gros boulot en perspective. Ça tombait bien, il pleuvait à verse et les maximales
de saison atteignaient alors les 12°C – juillet, Seine-et-Marne.
– Mais ça n’a aucun intérêt ce que tu fais là ! Tu retournes la pièce dans tous les sens
pour voir si elle rentre...
– Et si ça m’amuse ?
– T’as une drôle de notion de l’amusement, alors.
En vérité, le plaisir est de classer toutes les nuances de bleus, les imperceptibles
dégradés, les sfumatos sur les sommets, en une multitude de petits tas dans lesquels
on pourra par la suite piocher à loisir.
– J’en peux plus... C’est pas l’été, c’est pas comme ça que j’imaginais cette semaine.
– ...y’a des fusées au congel si ça peut te remonter le moral.

C’est vrai que c’était déprimant.
On avait une chape de plomb au-dessus de la tête.
– Hé ! Mais ça c’est le lac, rends-moi mes pièces !
– Attends attends, je suis pas sûre... t’as qu’à faire les rochers, là.
Après quelques heures, on obtient une couleur à la forme assez particulière : le contour
supérieur est net, les latéraux aussi. Celui du bas est irrégulier. L’image y apparaît
en creux, et ça suffit.
Souvent, on trouve des copies de tableaux célèbres en puzzles. Il y a d’ailleurs quelque chose de malaisant là-dedans – on assemble la peinture, mais on ne la fait pas.
On devrait fabriquer des puzzles monochromes aussi.
– Et si on l’attrapait par là ? Ou... j’sais pas, par gros morceaux...
– Non non laisse tomber. On aurait dû le mettre sur une planche dès le début.